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Il était une fois un conte chorégraphique inattendu…

Qudus Onikeku (NDLR, qui a au préalable travaillé pour Heddy Maalem et Sidi Larbi Cherkaoui, et les metteurs en scène George Lavaudant et Moise Touré), danseur et chorégraphe nigérian du collectif parisien YK Projects, est un habitué du Ballhaus Naunynstraße de Berlin. Il y était déjà passé dans le cadre du festival We Are Tomorrow. Il y revient avec sa toute dernière création, We Almost Forgot. Entre mouvements lucides et monologues déchirants, la pièce explore le souvenir douloureux, indélébile, et tente d’exprimer des traumatismes enfouis à travers un langage corporel éloquent, mais aussi éprouvant.

 

Qudus Onikeku a coutume de s’amuser des clichés. Ludique, spirituelle, sa danse engagée allie performance acrobatique et danse méditative. Devant We Almost Forgot, le spectateur est amené à vivre une expérience forte, à la ressentir dans l’instant. Un travail de longue haleine pour lequel le chorégraphe a organisé des ateliers aux quatre coins de la planète, aux côtés de victimes de guerre. Car la danse de Qudus Onikeku est un entrelacs de genres et de cultures : « J’aime dialoguer avec le public pour que celui-ci ne se rende plus compte qu’il est dans un spectacle. Avec la danse, j’arrive plus à rentrer dans la vérité, la sensibilité des choses. Les paroles cachent pas mal de choses. » Une identité universelle, unique, se recompose alors au cours de ce processus immémorial.


Qudus Onikeku, Tidiani N’Diaye et quatre danseuses (Aiyegbeni Deborah Faith, Sonia Al-Khadir, Gaëlle Tiger Ikonda, Gwen Rakotovao) se croisent, se mêlent et se démêlent, sur une scène jonchée de feuilles mortes qui volent en toute légèreté dans ce monde de brutes. En décor de fond, des sacs de jute sont tirés sur un mur. La lumière tamisée (Matthew Yusuf) et les costumes traditionnels (Abolore Sobayo) s’allient parfaitement à l’atmosphère épurée et mystérieuse du propos atypique. La charismatique Ese Brume mentionne des bribes de textes (en anglais), construits à partir de témoignages et d’histoires personnelles. Des monologues qui nous plongent dans une introspection attentive, même s’il est parfois délicat de suivre l’actrice. La danse ne se suffit-elle pas à elle-même ? Ne supplante-t-elle pas les mots, aussi poignants puissent-ils être ?


Qudus Onikeku aurait pu ne travailler que le mouvement, dont il sculpte le geste avec aisance. Malgré sa morphologie trapue, sa danse est souple et fluide. Ses danseurs, hantés par une pulsation brute et animale s’approchent de la transe : gestuelle compulsive et répétitive, corps crispés qui se relâchent comme attirés par le sol, par la terre… Fragiles et puissants, ils transfigurent leurs pensées énigmatiques en mouvements d’une tonicité extrême, en inflexions non-identifiées. La scène qui laisse évoluer une danseuse pourchassée, encerclée par des danseurs-agresseurs qui la traînent et la raillent, est follement pathétique. Quant au duo-duel masculin (Qudus Onikeku et Tidiani N’Diaye), il bouleverse par une violente mise à mort, dont l’auteur se repentit immédiatement en criant à sa dépouille qu’il l’aime. Mention spéciale à la danseuse Gwen Rakotovao (lauréate 2012 du concours de chorégraphie initié par Thierry Malandain à Biarritz), qui interprète une histoire banale, horrible et sublime à la fois : expressivité saisissante et gestuelle d’une précision inouïe. Les batailles se poursuivent, entre ralenti et surexcitation…


Hétéroclite, éclectique, We Almost Forgot renvoie toujours à la même réalité dérangeante, oppressante. Foisonnante d’émotions et d’énergies, la troupe de danseurs, agresseurs ou victimes, scénarise l’essence de l’existence. Peut-être que la scène finale, portée par la célèbre partition d’Arvo Pärt, Spiegel im Spiegel, donne toutefois dans le mielleux… Un questionnement néanmoins captivant au service d’une beauté intrinsèque.




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